dimanche 31 mars 2013

Seize

.1 Citation

« La hantise du lecteur est de mourir avant d'avoir lu ou relu certain livres qui font partie de sa vie. Sa bibliothèque est faite de souvenirs heureux, de remords aussi de ne pas avoir apprécié un certain nombre de chefs-d'oeuvre et de désirs encore inassouvis. Un jour viendra, pourtant, où il devra ne conserver qu'une infime partie de ses livres ou même y renoncer pour toujours » 13 janvier 1998.
André Major, Prendre le large.

.2 

Tout ça pour ça : presque deux mois que je me traîne à écrire ce commentaire des carnets d'André Major. Trop long le texte, j'en fais deux parties. Bien qu'assez insatisfait, je décide de ne plus en ajourner la mise en ligne. Tant pis : je pourrai toujours y revenir : le repentir est toujours possible, et pas seulement en peinture. J'imagine -- en fait je le souhaite -- que dans quelques jours, décantation et macération opérées, je saurai mieux dire, et l'écrire, l'importance de ces livres. Trop pour mes moyens (attention à la fausse modestie), pour l'heure, du moins.

.3 Anacoluthe

« Il fallait attendre que la terre dégèle pour inhumer l'urne funéraire de notre père. »
Le genre de phrase qui, pour moi, produit le même effet que le grincement d'un ongle sur un tableau noir : insupportable. On m'appelait, à la Législation, le chasseur d'anacoluthes... C'est aussi, que jusqu'à cette époque, j'avais moi-même beaucoup fauté. A. C. le jurilinguiste qui révisait nos textes m'a à tout jamais purgé de ce travers.

Toujours en mémoire, quant à A. C. : lui répondant qu'entre Montréal et Ottawa je lisais sur l'autobus, j'eus comme commentaire : « Cela doit être fort inconfortable. » Amère médecine du ridicule.

.4 La littérature selon Gracq et...

« La littérature, dit Julien Gracq, ne montre jamais. Elle ne dessine pas. Elle évoque. Elle convoque autour de la phrase qu'on vient de prononcer des images voisines qui s'agglutinent, mais ne permet pas de dessiner. » Janvier 1999

Et Major de broder sur ce thème, citant également Paul Valéry. Question aussi de Proust et de Mauriac, celui des Mémoires intérieurs, le plus beau selon lui.

Plus loin, commentaire sur le massacre de l'école Polytechnique.

.5 Être un homme selon Malraux.


Il semble qu'André Major n'aime pas beaucoup Malraux. Se trompe à son égard : pas de secrets honteux. D'ailleurs, la phrase n'est pas de M., mais d'un des personnages de La condition humaine. Contresens absolu : pour M.  « Un homme est la somme de ses actes, de ce qu'il a fait, de ce qu'il peut faire. » La Lutte avec l'Ange. D'où les Antimémoires. Mais cette confusion est fréquente, M. est toujours au purgatoire. Lire toutefois l'article que lui a consacré Régis Debray dans son récent recueil Modernes Catacombes.

Temps.

Je viens de retrouver la citation exacte dans le Miroir des limbes (Oeuvres complètes III, p. 10) :
« On m'a prêté la phrase d'un de mes personnages : "L'homme est ce qu'il fait". Certes, il n'est pas que cela ; et le personnage répondait à un autre : "Qu'est-ce qu'un homme ? Un misérable petit tas de secrets..." »
 Bien plus importante, et mystérieuse, je commencerais à peine à en saisir tout le sens, et ma première lecture des Antimémoires est contemporaine de la mort de M, est cette définition ce que qu'est un homme :
« Il reste que l'analyse de l'individu [il est question de Mémoires] ... nourrit une action de l'esprit... : réduire au minimum sa part de comédie. »
Les notes de l'édition donnent d'autres versions dans l’œuvre de M. :
« Être un homme, c'est réduire sa part de comédie » : titre d'un discours de 1935;
« [...] l'arme la plus efficace d'un homme, c'est d'avoir réduit au minimum sa part de comédie » Les Noyers de l'Altenburg.
Même définition dans Le démon de l'absolu et Le Triangle noir.

jeudi 28 mars 2013

Quinze

.1 Tourisme

Je me suis inspiré, pour mon article sur Ecuador d'Henri Michaux, d'une citation de l'écrivain français et membre de l'Académie Jean Mistler (1897-1988) :

« Le tourisme est l'industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux, dans des endroits qui seraient mieux sans eux. »
 So true, aurait peut-être dit Stendhal.

.2 Gens 

 « ... ces bonnes gens qui seraient mieux chez eux... » : ne me jetez pas la pierre, le nom « gens » est à la fois féminin et masculin, voir Hanse.
« ... il faut suivre la règle, si déconcertante qu'elle soit, et écrire : Quelles gens avez-vous rencontrés ? Ces vieilles gens sont arrivés. »

dimanche 24 mars 2013

Quatorze

.1

Difficile -- impossible ? écriture de la note sur les Carnets d'André Major. Comment ai-je pu tant aimer ces livres, et avoir tant de peine à en extraire le sel pour le blog. Brouillon, suppression (la rature électronique, en quelque sorte), re-brouillon, les versions se succèdent, et je n'ai toujours qu'un seul paragraphe, et fort peu satisfaisant encore.

Ces carnets génèrent leur propre carnet, et apostilles.

J'enrage.

.2

Fini le Journal de Deuil de Barthes. Ému par assimilation.

.3


Ecuador d'Henri Michaux : mon voyage de fin d'hiver : dépaysement et, j'en ai peu l'habitude : poésie. J'aborde en passager clandestin à bord de ce récit de jeunesse l'écrivain si fort vanté par Michel Cournot.

.4

Dîner chez les G., polonais comme il se doit, et vodka bison. Mère et une des filles, pas la romancière, la journaliste. Connaissances communes, conversations de circonstances; deux ou trois chiens, grand véhicule de conversations, mais je suis tellement chat...

mercredi 20 mars 2013

Treize

.1 (nuit) 

Soirée calamiteuse au club, dernière place : difficile de s'habituer aux sous-sols. Souvenirs de Dostoïevski : le souterrain. Évidemment, fatigue, insomnie. Je suis ... le mot me manque.  Et irrité.
Plus tard : fébrile, c'est le mot, c'est ça : je suis fébrile.
Note à S. : tout abandonner ?
Agitation nocturne : j'écris en pensée, ce que je fais souvent; les phrases viennent d'elles-mêmes, se composent, s'ordonnent. C'est épuisant.
Pour me changer les idées : lecture de Barthes, le Journal de deuil.
Deux heures du matin (texte mis en ligne le lendemain), toujours agité, je me décide à écrire; au crayon, l'ordinateur est éteint, et je ne veux pas me lever. Je n'aime pas écrire sur l'iPad, cela me gèle l'esprit.
Très bien le Barthes, même si je ne l'aborde pas dans les meilleures circonstances.
J'espère, demain, pouvoir me relire, je n'écris plus très bien.
Finalement, je vais dicter sur l'iPhone, avec Evernote.

.2 (matin)

Reçu le jugement de divorce, daté du 28 mai 2012. Prise d'effet trente jours après cette date :
    Une bonne chose de faite. 
    Une bonne chose : défaite.

.3 (soirée)

Dans l'autobus, me rendant chez le coiffeur, j'ai poursuivi la lecture du Barthes. Décide d'adopter cette forme pour les apostilles, pour les personnelles du moins.

Citation : 
« 3 août 1978
Exploration de mon besoin (vital, semble-t-il) de solitude : et cependant j'ai un besoin (non moins vital de mes amis).
Il faudrait donc : 1) me demander à moi même que je les "appelle" de temps en temps, que j'en trouve l'énergie, que je combatte mon apathie -- notamment téléphonique; 2) leur demander de comprendre qu'il faut surtout me laisser les appeler. S'ils me faisaient moins souvent, moins systématiquement signe, cela aurait pour moi un sens que moi je leur fasse signe. »
Écrit pour le chagrin du deuil, applicable à la mélancolie de la dépression ?

mardi 19 mars 2013

Douze

Roland Barthes, Journal de deuil, Points Seuil n° 678


Écrire, écrire la vie. Me voici confronté à l'aporie du récit de vie : j'écris que je ne suis pas capable d'écrire le commentaire des carnets d'André Major. Quoi ? ils m'auront tant plu, et je n'arrive pas à structurer mes souvenirs de lecture, pas plus que mes notes et les citations recueillies. Rien ne presse, mais j'enrage.

Je poursuis l'écoute des cours d'Antoine Compagnon, Écrire la vie : Montaigne, Stendhal, Proust, qui remonte déjà à 2006, et plusieurs fois certaines leçons. À la suite d'une de ces écoutes, je me procure le Journal de deuil de Roland Barthes dont il est longuement traité.

Sur la mort de sa mère. Pour ce qui est de la mienne...

lundi 4 mars 2013

Onze

Précision

Je n'aurai pas la prétention de m'exclure du commentaire tiré de l'Esprit vagabond d'André Major, car quand on m'a demandé, naguère, de tenir un billet de lecture dans le cadre d'une émission « retour au foyer » à Radio Canada à Ottawa, et par la suite le samedi matin, c'était avant tout parce que je savais « causer » devant un micro, et en direct : mon timbre de voix faisant office de joli minois -- je fus élève de Madame Jean-Louis Audet, ne l'oublions pas... Au vrai, toujours assez littéraire, voire rat de bibliothèque, mais sans autre formation que les cours dispensés au collège. Un amateur donc. Et littérateur je l'étais à ma manière, rédiger les lois du pays, c'est écrire : songez à Stendhal qui s'inspirait du Code civil.

On m'a donné toute latitude quant aux livres, j'ai pu parler d'autre chose que des best-sellers et autres coups de cœurs obligés. Avec une sorte de régime de péréquation littéraire : livres en français (Canada/Québec/Francophonie) ou livres en traduction, qu'il s'agisse de romans, d'essais et même de poésie. Et comme objectif, de partager avec les auditeurs mon expérience -- plaisirs et déplaisirs -- de lecteur, sans jouer le jeu de la critique (quoique parfois...). J'ai été aidé, et magnifiquement, par l'animateur. M. G***, qui a depuis quitté la grande maison pour des horizons guère moins médiatiques.

En tout état de cause, même si j'ai beaucoup vanté le livre de Pierre Bayard, Comment parler des livres qu'on n'a pas lus, j'ai toujours lu tous les livres que j'ai commentés, y compris ceux de Mlle Bombardier.